Un point de vue unique

26 June 2018

Durant la vingtaine d’années que Maitri Morarji a passées à travailler dans le domaine de la philanthropie pour les droits des femmes dans le monde, l’expérience qu’elle a acquise en travaillant avec des militants et militantes pour les droits fonciers et de propriété et avec des fonds œuvrant pour les femmes chez Wellspring Philanthropic Fund, American Jewish World Service et Global Fund for Women lui a appris que pour placer les expériences et l’expertise des personnes les plus affectées par les injustices au centre des activités, il fallait adopter une approche curieuse, créative et humble.

En août, Maitri rejoindra Foundation for a Just Society en tant que directrice des programmes, un poste nouvellement créé qui permettra d’orienter nos stratégies de plaidoyer programmatiques et philanthropiques et de les renforcer. Nous avons discuté avec Maitri pour en savoir plus sur l’approche qu’elle adopte pour faire parvenir des ressources plus adaptées et plus nombreuses aux femmes, aux filles, et aux personnes LGBTQI qui catalysent le changement dans leur communauté et dans leur pays.

Qu’est-ce qui vous a amenée à travailler dans le domaine de la philanthropie pour les droits des femmes ?

Juste après mes études supérieures, j’ai commencé à travailler avec la Grameen Foundation. C’était avant que le prix Nobel de la paix ne soit décerné à Muhammad Yunus, et la microfinance commençait tout juste à gagner en visibilité. Une chose devenue évidente dès les premières étapes de mon travail : les femmes sont des catalyseurs du changement. À l’époque, je ne définissais pas cela comme une question liée aux droits humains ou aux droits des femmes, car je n’utilisais pas encore ce type de langage. Mais il est devenu évident pour moi que les femmes devaient être au centre des débats sur le développement et sur la progression de la justice sociale.

J’ai fait mes débuts dans le domaine de la philanthropie pour les droits des femmes chez Global Fund for Women il y a près de vingt ans. C’est là que j’ai commencé. Depuis, j’ai bien vu qu’en soutenant les droits des femmes, on était beaucoup plus efficace pour garantir le respect des droits de toutes les personnes, le dynamisme des mouvements, et la visibilité et la voix des femmes dans les contextes nationaux et internationaux. Les militantes regroupent les différents problèmes qu’elles rencontrent et elles y font face dans le cadre plus large des droits des femmes, qu’il s’agisse de la résolution de conflits, de droits fonciers, ou d’égalité LGBTQI, ce qui témoigne de la diversité des façons dont chacun et chacune d’entre nous pourrait contribuer à faire progresser les droits des femmes.

Qu’est-ce que vos vingt ans passés à faire parvenir des ressources aux mouvements pour les droits des femmes dans le monde vous ont appris sur la philanthropie ?

Pour moi qui habite aux États-Unis, il existe de réelles opportunités de faire parvenir des ressources importantes aux activistes et aux mouvements qui effectuent un travail remarquable, en particulier dans les pays du Sud. Indépendamment du type de fondation dans laquelle on se trouve, le rôle que nous pouvons toutes et tous jouer pour renforcer l’écosystème des droits des femmes est de placer les voix, les stratégies et les solutions des activistes locaux au centre de nos activités de financement.

Les bailleurs de fonds occupent une position privilégiée : nous avons la possibilité d’identifier des tendances à la fois dans les défis et dans les nouvelles idées qui émergent dans différentes régions géographiques, et il est parfois utile de partager nos observations avec les activistes locaux. Mais d’un autre côté, on croit souvent que si une solution fonctionne dans un contexte, alors on peut l’adapter à un autre endroit, à une autre communauté, à un autre type de mouvement. J’ai très vite appris que cette stratégie était généralement vouée à l’échec, et je l’ai appris à mes dépens. J’ai essayé de rassembler des organisations pour les droits fonciers des femmes de différents pays d’Afrique de l’Est dans le cadre d’un échange stratégique et de connaissances, et j’avais imaginé un modèle spécifique concernant la façon dont tout cela devait se dérouler. J’ai travaillé avec des organisations locales pour développer le programme des discussions et faciliter le rassemblement, mais malgré cela, il s’est avéré que mon modèle n’était vraiment pas le bon. Aujourd’hui, je ne commence pas mes conversations avec des réponses, mais avec des questions.

Qu’espérez-vous apprendre grâce à ce nouveau rôle ?

Jusqu’ici, mon travail s’est majoritairement concentré sur deux domaines thématiques : les droits fonciers et de propriété, et les droits des femmes au niveau international. Le fait d’aborder les droits des femmes et des personnes LGBTQI sous un angle régional et non pas par le biais d’une problématique spécifique m’offrira une incroyable opportunité d’apprentissage.

Je m’intéresse aussi beaucoup au travail de la fondation dans le domaine de la communication stratégique. Je constate que les institutions philanthropiques conçoivent la communication beaucoup plus volontairement. Traditionnellement, cela se limitait à la façon dont une fondation communiquait au sujet du travail qu’elle finançait, mais aujourd’hui certains acteurs de la philanthropie adoptent une approche plus intégrée. Ils optent pour une vision plus large de ce qu’est la communication et de ce qu’elle peut être, à la fois en tant qu’opportunité pour les mouvements pour la justice sociale d’accroître la visibilité des communautés sous-représentées et en tant qu’outil pour faire progresser le travail de plaidoyer des philanthropies. Mais c’est un rôle délicat pour les bailleurs de fonds. Pour moi, la communication d’une fondation devrait rendre plus visible le travail des mouvements, de toutes les façons possibles, en prenant en considération la question de la sécurité des activistes dans les contextes politiques plus instables. J’aimerais beaucoup en savoir plus sur le pouvoir catalytique de la communication stratégique.

Vous avez parlé de l’instabilité à laquelle les activistes font face. En ces temps marqués par la violence des réactions, quelles opportunités permettraient à la philanthropie de s’allier aux mouvements féministes internationaux, d’après vous ?

Le contexte dans lequel les activistes travaillent leur impose un certain nombre de défis, et il y a beaucoup de stratégies d’adaptation que la philanthropie pourrait adopter. La philanthropie privée en particulier pourrait être plus agile et prendre beaucoup plus de risques. Par « risques », j’entends le fait de soutenir la créativité dans la résolution des problèmes, le militantisme de pointe, ou encore les nouvelles méthodes de travail dont l’efficacité n’a pas encore été prouvée. La philanthropie peut aussi davantage se pencher sur la question de la façon dont les pratiques de financement peuvent apporter une réponse aux conversations sur la sécurité holistique et le bien-être, à la fois dans le travail quotidien des activistes, des organisations et des mouvements, et sur ce qui est nécessaire pour garantir leur efficacité à long terme.

Il y a pour les fondations privées une opportunité très importante de se rassembler et de réfléchir ensemble à des façons de mobiliser davantage de soutien pour l’organisation au niveau local grâce à des plaidoyers ciblés auprès des institutions bilatérales et multilatérales et des autres acteurs engagés dans la philanthropie. Le paysage est immense, mais nous ne le voyons souvent qu’au travers de la minuscule fenêtre sur laquelle nous nous focalisons au quotidien. Pourtant, il y a beaucoup de choses que nous ne voyons pas, et des choses sur lesquelles nous pouvons aider à faire la lumière pour d’autres acteurs.

Il est important d’avoir une vision plus large, d’écouter ceux qui peuvent contrebalancer ce que nous avons l’habitude d’entendre au lieu de renforcer les mêmes approches et perspectives. Nous devons penser de façon dynamique, et cela implique de nous engager auprès de personnes qui ne sont peut-être pas celles avec qui nous parlons dans notre travail de tous les jours, mais qui partagent nos valeurs et notre vision du changement.

Les activistes disent souvent que la création d’un changement transformateur est le travail de toute une vie. Et même au sein des institutions prospères, le burn-out et la stagnation sont une réalité. Comment maintenez-vous votre propre énergie et votre dynamisme ?

C’est très important pour moi de m’éloigner de mon bureau, de parcourir le monde, et de voir comment les femmes, les filles et les personnes LGBTQI s’engagent au niveau local pour faire face aux problématiques qui affectent leur vie. Il est donc très important de créer ces connexions personnelles. Et avec tous les dilemmes éthiques qui accompagnent tout travail dans le domaine de la philanthropie, il est important de discuter en toute franchise de notre pouvoir, de nos limites, et de notre difficulté à prendre position sur ces questions. Comme je le disais plus tôt, pour être efficaces, nous devons continuer à placer au centre de nos activités les personnes que nous essayons de soutenir par nos actions. Ce sont elles qui me donnent la motivation pour faire changer les choses dans le monde.